Le Billet Polar de Sophie Colpaert

La Chronique Baladeuse du mois d'octobre 2006

Pour sa neuvième édition, la Chronique Baladeuse vous emmène à Florence, dans les pages de Magdalen Nabb et sur les pas de l'adjudant Guarnaccia. La parution d'un nouveau tome, Meurtres au palais, m'a donné envie de vous entretenir de cette excellente série.

D'origine anglaise, Magdalen Nabb s'est établie à Florence voici plus de trente ans, sur un coup de tête. Six ans après son installation, en 1981, cette professeur de céramique publie un premier roman policier, Le Gentleman florentin. L'intrigue met en scène tout le fossé qui sépare un riche anglais de ses employés de maison, un couple de Florentins ordinaires qu'il refuse de payer alors qu'ils ont tant besoin de cet argent. Les vieilles rues de Florence, étroites et tortueuses, offrent un cadre idéal pour les scènes d'action et l'histoire est relatée avec un sens du quotidien aux forts accents simenoniens. Les enquêtes de l'adjudant Guarnaccia, sorte de Maigret florentin, sont de celles qui démarrent dans les piles de vaisselle sales et les tiroirs qui coincent. Autant d'indices matériels qui racontent une vie avant qu'elle ne s'achève brutalement
Gros bonhomme aux yeux globuleux engoncé dans son uniforme noir, l'adjudant ne sait que faire de son encombrante corpulence. Où qu'il aille, le voilà contraint de raser les murs sans accrocher les cadres, de se tenir à distance des tables fragiles garnies de bibelots hors de prix, de décliner les invitations à prendre place sur des chaises aux pieds délicatement ouvragés. Outre sa taille, peu adaptée aux petits appartement citadins, Guarnaccia souffre d'un incurable handicap: non seulement il n'est pas originaire de Florence mais pire encore, il vient de Syracuse ! Pour les lecteurs francophones, cela résonne comme une douce mélodie mais pour un Florentin, c'est le comble de la grossierté, quelque chose d'absolument impardonnable! Guarnaccia essaiera longtemps de percer la mentalité florentine avant d'y renoncer après quinze ans de bons et loyaux efforts. Allez comprendre une ville où les appartements se transmettent de génération en génération depuis parfois trois cent ans, où les palais sont encore occupés, neuf cent ans après leurs constructions par les familles qui les ont édifiées, où les quartiers conservent jalousement le souvenir des rivalités familiales!... Qui a déjà entendu parler d'une cité où toutes les demeures tournent le dos à la rue et abritent leur jardin et leur façade à l'intérieur? Vous vous rendez-compte de ce que cela laisse supposer sur le caractère des Florentins? s'étonne un jeune acteur shakespearien dans Meurtres au palais.our adultes et tourne petit à petit la page de l'enfance.

Le thème des étrangers à Florence occupe une place centrale dans les quatre premiers romans de cette série écrite en anglais et qui compte désormais huit titres traduits en français. Dès le troisième titre, Mort au printemps, Magdalen Nabb élargit son horizon en emmenant ses personnages dans les collines qui entourent Florence. Elle y raconte la rencontre de deux mondes, deux jeunesses et de deux solitudes, entre une riche héritière américaine et des bergers sardes. Ce roman vaudra à Magdalen Nabb le courrier enthousiaste d'un lecteur pas comme les autres : Georges Simenon.
L'Artisan du crime marque un premier virage dans cette série toujours en évolution et jamais décevante. Madgalen Nabb y délaisse les intrigues anecdotiques pour se plonger dans les heures sombres du passé italien. L'histoire est servie par un décor très simenonien: quelques faïenceries déglinguées le long d'une route industrielle et plus loin un village propret où l'on n'a rien oublié du rôle de chacun pendant la guerre. L'assassinat d'une jeune suissesse, venue apprendre la céramique, va raviver ces plaies mal cicatrisées et déchaîner les passions haineuses. Une fois encore, l'adjudant, qui n'est pas du village, a bien du mal à mener son enquête ! Avec le titre suivant, Le Mystère Clementina, Madgalen Nabb retrouve le coeur de Florence, l'histoire de cette cité et ses défaillances contemporaines. Clementina, une célébrité du quartier populaire de San Frediano, est retrouvé morte, la tête dans le four. Qui pouvait en vouloir à cette demie-folle sans le sou? Lentement, car dans Florence au mois d'août, la vie s'arrête, l'adjudant reconstitue le puzzle de la vie de Clementina. Une vie qui a basculé dans la folie quand les inondations de novembre 1966 ont emporté son mari et sa petite fille. Clementina s'est retrouvé sous la tutelle de son beau-frère, pressé de se débarrasser d'elle et des autres locataires de son immeuble pour pouvoir vendre au prix fort, jetant sur le pavé des petites gens qui viendront grossir les rangs de ceux qui ne savent plus se loger à Florence.

Enfin, Un Témoin honorable se détache du lot car c'est, pour l'adjudant, le roman de toutes les remises en questions. Élevé dans le respect de l'uniforme, l'adjudant n'a pas vu la société évoluer autour de lui et tombe des nues quand il découvre que son cadet, gêné d'être le fils d'un carabinier, s'adonne aux petits larcins qui feront de lui un membre à part entière d'une bande de voyous. Dans le même temps, l'adjudant enquête sur l'assassinat d'une prostituée transsexuelle. Profondément choqué par ce qu'il découvre, l'adjudant est d'abord paralysé de honte et de stupéfaction, jusqu'à ce qu'il rencontre Carla et comprenne que derrière les apparences aguichantes, il y a beaucoup de souffrance et de solitude. Au terme de son enquête, Guarnaccia se retrouve face au coupable, un homme qui répondait, en apparence, à tous les critères de respectabilités...

Les amateurs de romans policiers dénués de violence excessive devraient trouver leur plaisir de lecture dans ces romans d'atmosphère si dépaysants. On retrouve dans Meurtres au palais, le dernier roman paru, tous les thèmes qui font le charme et la force de cette série. Cette fois, l'adjudant enquête sur la mort de Buongianni Corsi, époux de la marquise Ulderighi, descendante des Ulderighi qui ont fait bâtir ce palais du même nom, mentionné dans tous les guides et où vit toujours la famille. Les apparences sont sauves. Sauf que le mari était lassé d'entretenir un palais où il était tout juste toléré, que madame a dû louer une partie de son domaine et qu'elle entretient une liaison avec un de ces locataires qu'elle méprise tant, le tout sous les yeux de son fils, au corps affaibli par la maladie et à l'esprit tourmenté par les enseignements d'un confesseur aveuglé par sa doctrine...

Sophie Colpaert,
Octobre 2006

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