Le Billet Polar de Sophie Colpaert

La Chronique Baladeuse du mois de mai 2006

En ce printemps 2006, une nouvelle collection policière a fait son apparition sur les tables des libraires: la collection "28-8 police!" des éditions du 28 août. Sous ses couvertures jaune soleil qui ne sont pas sans rappeler les mythiques Ditis, l'ensemble propose, en format de poche et pour un prix très démocratique, de savoureuses balades policières à travers la France. La première salve comporte dix romans. J'ai décidé de vous parler de trois volumes qui, pour des raisons aussi diverses que subjectives, ont retenu mon attention. Cette sixième chronique baladeuse vous emmène donc à Lille (La Bistouille mortelle de Lille de Richard Deutsch) et à Paris (Terminus Montparnasse de Michel Renouard et Panique au quartier latin de Jean-Michel Calvez).


La Bistouille mortelle de Lille nous donne l'occasion de retrouver Richard Deutsch aux commandes d'un nouveau personnage affublé d'un nom à coucher dehors: le commissaire Hetib Hobzbizzeit! Ne vous fatiguez pas à retenir cette horreur, qui signifie quand même "délicieux pain à l'huile d'olive" en maltais car le commissaire se fait volontiers appeler Hob. D'ordinaire, Hob officie à Paris, sauf quand le Chef estime qu'une affaire bizarre réclame un déplacement en province et comme le Chef ne quitte jamais Paris, c'est Hob qui s'y colle et ça n'est pas pour lui déplaire. Le Chef a envoyé son éminence grise à Lille pour une histoire de trafiquants de genièvre (de la bistouille quoi!). Deux apprentis bouilleurs de cru distillaient un alcool qui avait tous les défauts: imbuvable et dangereux pour la santé du consommateur, forcément occasionnel. Arrêtés, écroués à la prison de Loos-lez-Lille, les malheureux sont retrouvés pendus dans leurs cellules. Cette banale histoire d' alcool de contrebande cacherait-elle autre chose? Jablonski, l'interlocuteur lillois d'Hob penche pour une implication de la mafia chinoise dans un trafic de nourriture. Entre la poire et le fromage d'un excellent repas, le commissaire lillois confie ses craintes à Hob. Quantités de restaurants proposent, en s'appuyant sur des préparations lyophilisées, des plats recherchés à un prix très démocratiques. Quand on sait d'où viennent les sachets, passe encore. Mais quand ceux-ci sont commercialisés par la mafia chinois, à des prix imbattables, et qu'ils échappent à tout contrôle sanitaire... il y a de quoi être inquiet!
Si le point de départ de l'enquête et le ton du récit sont volontairement légers, l'ensemble évolue vers un solide questionnement au sujet du contenu de nos assiettes et de tout ce qui s'y trouve, parfois à l'insu de notre plein gré.


Dans Terminus Montparnasse, Michel Renouard inaugure également un nouvel enquêteur, le commissaire Achille Corneille. Le brave homme dirige le commissariat de la Gaîté, une succursale du Quai des orfèvres coincée au fond d'une sinistre impasse du même nom... Condamné à la fermeture en même temps que les maisons closes, l'endroit est promis à la démolition depuis des lustres. Les bureaux y sont plus étroits que des placards à balai, les couloirs servent de salle d'archives et il est difficile d'apercevoir la couleur des plafonds tant les épais nuages de fumées tabagiques se suivent et se ressemblent. C'est néanmoins dans ce décor de rêve qu'atterrissent des affaires aussi délicates que l'assassinat de Laurent Garanchez de Malebruny. La victime, professeur à la Sorbonne, est apparenté à Alphonse de Malebruny, adjoint au chef de cabinet du ministre de l'intérieur et prochainement pressenti pour de plus hautes fonctions... L'université et le gouvernement craignent déjà pour leurs blasons tandis que des photos douteuses, adroitement disséminées dans l'ordinateur du mort, font les choux gras de la presse à sensation! Insensible aux pressions de droite et de gauche, Achille Corneille mène son enquête selon ses convictions, secondé par une équipe aussi farfelue qu'efficace. Convaincue que le crime s'explique par la personnalité du mort, l'équipe de la Gaîté remonte jusqu'aux années de lycée des Malebruny et déterre une sombre histoire de méchanceté adolescente. Certains s'en remettent, d'autres non...
Les fidèles du commissaire Gabacho seront heureux de retrouver, intacte, dans ce premier Corneille toute la verve de Michel Renouard, ce regard lucide et rempli d'humour sur notre époque, ces personnages excentriques qui ne font, finalement, que creuser leurs sillons en marge des diktats de notre société de communication et de consommation à tout va.

Il est encore question d'atmosphère parisienne dans Panique au quartier latin de Jean-Michel Calvez, un auteur de science-fiction qui s'offre une petite incursion en terra incognita, quelque part entre le roman policier et le roman noir.
Une légère explosion sème la panique au magasin Virgin des Champs-Elysées. Planté sur le trottoir non loin de là, un jeune homme contemple son oeuvre. Ulcéré de voir ses contemporains aduler de sombres navets, il a décidé d'employer les grands moyens pour rééduquer les masses, en piégeant les têtes de gondoles. T'achète un truc débile, il te pète entre les pinces. Ça devrait faire réfléchir non? Ceux qui achètent et ceux qui produisent. Avec l'aide de son copain Fil, bidouilleur de génie, notre homme commence par s'attaquer aux disques, et puis aux livres. Le scénario est à la hauteur de ses efforts mais personne ne semble comprendre le message. Un beau brin de fille se joint à lui et sa croisade prend une toute autre dimension puisqu'un livre piégé explose à la figure d'un auteur en vogue. Justice et médias s'en mêlent tandis qu'une directrice littéraire se souvient d'un manuscrit recalé en comité de lecture... Outre l'étonnante quête du personnage principal, on retient surtout de ce roman le remarquable travail d'écriture qui jamais ne faiblit.

Sophie Colpaert,
Mai 2006

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