Le Billet Polar

La Chronique Baladeuse du mois de novembre 2005

Ce nouveau numéro de la Chronique Baladeuse ne va pas vous emmener bien loin, ni dans l'espace ni dans le temps. Pire, je vais même vous replonger dans l'actualité française de cet automne 2005 !

Les évènements de Clichy-sous-bois m'ont remis en mémoire deux romans qui présentent, pour l'un, une coïncidence surprenante avec ce drame, tandis que l'autre détaille avec une acuité saisissante et un suspense de toutes les pages, les mécanismes qui conduisent et entretiennent ces explosions de violence.


La Muraille Invisible d'Henning Mankell s'ouvre sur l'assassinat d'un chauffeur de taxi. Deux copines de dix-neuf et quatorze ans ont trouvé là un moyen comme un autre de se procurer de l'argent. Frappé à coups de couteau et de marteau, l'homme décède à l'hôpital le lendemain. Sonja Hökberg et Eva Persson affirment avoir choisi leur victime au hasard. Leur absence de sentiment et de retenue, leurs caprices de gamines et leurs calculs d'adultes mal intentionnées mettent les enquêteurs mal à l'aise. Ni le savoir faire d'Ann-Britt Höglund ni l'autorité et la patience de Wallander ne parviennent à leur faire prendre conscience de la gravité de leur geste. Le commissariat d'Ystad est sous le choc et chacun tente d'expliquer l'inexplicable, à sa façon, pointant du doigt l'évolution de la société suédoise, la montée de la violence et des égoïsmes, le rejet des plus faibles... Des bribes de l'air du temps, mais qui n'expliquent pas complètement et concrètement pourquoi et comment ces deux filles ont été capables de massacrer un chauffeur de taxi. Le lendemain, Sonja Hökberg profite d'un moment d'inattention pour s'enfuir du commissariat. Dans la nuit, une gigantesque panne d'électricité plonge la moitié de la Scanie dans le noir. Un transformateur a lâché. Un technicien se rend sur place et découvre, à l'intérieur de la cabine, le corps calciné de Sonja...


Le lien entre La Muraille Invisible et l'actualité de cette automne 2005 "s'arrête" à la présence de ce corps dans un transformateur électrique mais la coïncidence me semblait suffisamment étonnante, à sept ans d'écart (La Muraille Invisible, Brandvägg date de 1998) pour être mise en valeur.
Dans Intime Pulsion (Acid Row, 2001) de Minette Walters, en revanche, il n'y a pas une page qui ne fait pas écho à cette explosion de violence qui se répand dans les quartiers de la banlieue parisienne.
Bassindale Row est une vaste cité en forme de U coupée du reste de la ville. L'idée était de créer un vrai quartier où il ferait bon vivre. Mais faute d'entretien et de véritable projet d'évolution, le quartier est devenu un ghetto rebaptisé Acid Row. Ses artères en U fournissent désormais un terrain idéal pour des batailles rangées, casseurs contre policiers...


Au centre de soins du quartier, la tension atteint son comble entre le docteur Sophie Morrison et Fay Baldwin. L'une est une jeune doctoresse dynamique qui sait y faire avec ses patients, même dans ce quartier difficile tandis que l'autre, vieille fille coincée, rectitude gris acier, est conseillère familiale en fin de carrière. Lassée de son incompétence et de son fiel, Sophie a décidé de mettre Fay sur une voie de garage et celle-ci se venge en informant Melanie Patterson, une jeune patiente de Sophie, qu'on a logé des pédophiles dans sa rue. L'information, déformée par Fay, était pourtant classée confidentielle. À dix-neuf ans, Melanie est déjà mère de deux petits et enceinte du troisième. Inquiète, elle se confie à sa mère et les deux femmes décident d'organiser une marche pacifique dans le quartier en guise de protestation. Une poignée de jeunes désoeuvrés, entraînés par Westley, un adolescent toujours défoncé au crack, y voient une formidable occasion d'en découdre. À un kilomètre de là, dans la cité voisine, une petite fille disparaît. Et l'on a vu une brunette aux longs cheveux rentrer dans la maison des "pédophiles"... Tout ceci n'est que rumeur car personne n'a vu, effectivement, la petite fille rentrer dans cette maison. Qu'importe, les insultes fusent, les cris montent, les cailloux volent et Westley allume ses cocktails Molotov…
Intime Pulsion met un scène un quartier dénigré et les habitants qui le peuplent : des mères de famille isolées, des familles frappées par le chômage et qui finissent par baisser les bras, fatiguées de tout, des myriades d'enfants, des immigrés et des personnages âgées craintives aux revenus modestes, tous casés dans des logements construits à moindre coûts, mal pensés et attribués en dépit du bon sens. Le roman décrit également, avec une justesse qui laisse songeur, la puissance de la rumeur et la supériorité de la violence physique sur la vérité et la raison. Le tout dans un style éclatant de simplicité et avec une variété de point de vue qui donne au roman tout son dynamisme.

Sophie Colpaert,
Novembre 2005

 

Henning Mankell, La Muraille Invisible, Points Seuil
Minette Walters, Intime Pulsion, Pocket

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