Le Billet Polar

John CREASEY (1908-1973) par Frank Van Cant

Auteur anglais particulièrement prolifique, John Creasey a publié 562 livres sous quelques 28 pseudonymes. Creasey a écrit des pièces, des histoires courtes, des livres pour adolescents, des westerns (sous les noms de Tex Riley ou de William K.Reilly) et des romans à l'eau de rose (sous les noms de Margaret Cooke ou de Elise Fecamps). Une grande partie de ses ouvrages sont maintenant épuisés, mais son influence a été reconnue par plusieurs des principaux auteurs anglais de mystère.

Il produisait 10 000 mots par jour, un livre par semaine, ne s'arrêtant pas pour effectuer des recherches, " écrivez d'abord, recherchez après ", comptant sur des éditeurs dévoués pour les corrections. Il réécrit sans cesse. Par exemple, un titre publié dans les années trente pour le marché britannique et édité aux Etats-Unis disons dix ans plus tard, sera entièrement révisé et actualisé et portera parfois même un nouveau titre ou sera signé par un autre pseudonyme que l'édition anglaise. Dans une certaine mesure, cette nouvelle édition sera celle d'un nouveau livre.

Creasey est né à Southfields(1), dans le Surrey . Il était le septième de neuf enfants de Ruth et de Joseph Creasey, un charron. Il a fait ses études à l'école primaire de Fulhan et à l'école de Sloane, toutes les deux situées à Londres. Cette éducation dans une ambiance encore victorienne (Victoria est décédée en 1901) lui laissera une fascination durable pour les dominions (Afrique du Sud, Australie, Canada). Nombre de livres attribués à Jeremy York dans leur traduction française se passent d'ailleurs en Afrique du Sud, mais une Afrique du Sud curieusement sans Noirs …

 

 

 

De 1923 à 1935, il exerce divers emplois (secrétaire, ouvrier d'usine, vendeur) tout en essayant de s'établir en tant qu'auteur. Son premier livre est édité en 1930 et son premier roman criminel, Seven times seven, deux ans après. En 1935 il devient auteur à temps plein. Rien qu'en 1937, vingt-neuf de ses livres ont été édités.

Sa première série est celle du service Z dans des histoires de contre-espionnage, commençant par The Death Miser en 1933. Les romans de Creasey sous le pseudonyme d'Anthony Morton présentant le voleur de bijoux repenti John "The Baron" (2) Mannering, débutent par Meet the Baron (1937). Le gentleman-aventurier, l'Honorable Richard " The Toff " Rollison apparaît pour la première fois dans Introducing the Toff (1938).

En 1953 Creasey est un des fondateurs de la British Crime Writers Association. En 1953. lui et ses noms de plume dépassaient les adhérents en nombre ! Il a reçu l'Edgar Allan Poe Award en 1962. Il a été fait Grand Master par l'association des Mystery Writers of America en 1969.

Chaque année, la Crime Writers Association of Great Britain attribuent les Dagger Awards (Gold Dagger et Silver Dagger) pour les deux meilleurs livres de l'année. Un troisième prix est attribué au meilleur premier roman (policier), le John Creasey Award.

Les livres de John Creasey ont les défauts inévitables de la production en série. Mais à leur meilleur niveau - la série de Gideon, par exemple - ils dépassent de loin la production courante.

En plus d'une vie privée animée (quatre mariages), il a été également plusieurs fois candidat malheureux au Parlement, et en 1967 il a fondé le mouvement All-Party Alliance, invitant les électeurs à choisir le meilleur candidat indépendamment de son parti. Cette ambiguïté politique de Creasey transparaît régulièrement dans ses livres : les positions face aux " faits de sociétés " ne sont jamais tranchées (la peine de mort dans " The executioners ", l'avortement dans Gideon et West (3)). Deux de ses fils, Martin et Richard, sont devenus des personnages de série dans ses livres. Creasey a passé ses dernières années vivant alternativement en Angleterre et en Arizona. Il est mort le 9 juin 1973.

Parmi les personnages les plus connus de Creasey, on trouve l'Hon. Richard "The Toff" Rollison, Roger West de Scotland Yard, Sexton Blake, Gordon Craigie du "service Z", Dr Palfrey, Bruce Murdoch, Patrick Dawlish, Dr Emmanuel Cellini, un psychiatre, John Mannering ("le Baron"), et Gideon de Scotland Yard.

Pseudonymes: Gordon Ashe, M.E.Cooke, Margaret Cooce, Henry St. John Cooper, Norman Deane, Elise Fecamps, Robert Caine Frazer, Patrick Gill, Michael Halliday, Charles Hogarth, Brian Hope, Colin Hughes, Kyle Hunt, Abel Mann, Peter Manton, J.J. Marric, James Marsden, Richard Martin, Rodney Mattheson, Anthony Morton, Ken Ranger, William K. Reilly, Tex Riley, Jeremy York. Et quelques autres.

 

 

 

 

La série 'The Toff' - Le Prince

The Toff, l'Honorable Richard Rollinson, est un cousin littéraire (quoique nettement plus fade) de John Mannering " le Baron ", mais si ce dernier est dans la lignée d'Arsène Lupin, ici il s'agit plutôt d'un fils éloigné de Sir Percival Blakeney, mieux connu sous son nom de " Mouron Rouge ", héros quelque peu oublié de la Baronne Orczy.

Diplômé de Cambridge, heureux détenteur d'une fortune évaluée à plus d'un demi-million de livres sterling (de 1938 !), l'Honorable Rollinson, par horreur de l'ennui et de la banalité, s'est choisi une cause : la lutte contre le Mal, ou, plus exactement, contre les malfaiteurs. Ni détective privé, ni aventurier stricto sensu (4), sportif émérite (cricket, rugby), il concentre dans sa personne toutes les vertus que la société victorienne (dont l'idéologie baigne la société britannique jusque dans le tatchérisme) attribuait à la noblesse : désintéressement, détachement et protection des faibles, à condition que ceux-ci restent à leur place. Régnant sur l' " East End " londonien, le quartier mal famé par excellence (5) tel un suzerain sur ses terres, le " Toff "(6) est, à l'heure où l'Empire britannique vacille, le symbole mélancolique de la grandeur passée. Creasey, en effet, insiste, parfois lourdement et souvent avec un vernis de racisme (7) condescendant et paternaliste de colon, sur l'aspect que l'on qualifierait aujourd'hui de multiculturel de l'East End.

C'est dans ce monde sans cesse au bord de l'anarchie que le Prince, tel Victoria régnant sur l'Empire, apporte l'ordre. Figure emblématique et symbole d'une monarchie idéale, il est, comme tout souverain, à la fois la loi et au-dessus des lois, et reconnu comme tel par Scotland Yard. Il décide qui il livrera ou ne livrera pas à la justice. Certains voleurs se tirent d'affaire avec un sermon (voir Le Prince contre le marteau), d'autres seront impitoyablement livré à la justice et probablement au bourreau. C'est lui qui décide ce qu'est le Bien et ce qu'est le Mal.

Cette vision passéiste du monde n'empêche cependant pas Creasey de dénoncer, et parfois avec une belle véhémence, les injustices sociales qui gangrènent la société britannique.

Ce que l'on pourrait nommer la " fracture sociale ", pour employer une expression à la mode amène d'ailleurs ceux que j'appellerai les sujets du Prince à prendre parti contre toute forme d'autorité, ne se sentant en quelque sorte, peu ou pas lié par le contrat social.

Le Prince, lui, regarde tous ces débordements avec un détachement amusé.

Bien que chaque intrigue ait une claire connotation policière, la série s'apparente davantage, comme chez Edgar Wallace et Leslie Chatertis, au roman feuilleton d'aventures qu'au roman policier tel qu'aujourd'hui conçu. Elle n'en demeure pas moins très plaisante à lire, même si moins enlevée que la série du Baron. Ce ton en-dessous par rapport à ce dernier est sans doute dû à la solitude du Prince : les escarmouches entre Mannering et sa femme Lorna, toutes d'ironie, apportent à la série du Baron un rythme enjoué qui ici fait quelque peu défaut.

Sous le nom du " Prince ", seize volumes ont été publiés chez Arthème Fayard entre 1950 et 1957. Arthème Fayard espérait bien rééditer les coups éditoriaux réussis avec la série " Le Saint " et la série " L'homme aux orchidées " (Nero Wolfe). Cet objectif ne fut pas atteint. D'une part, la publication française se fit sans tenir compte de la chronologie et certains personnages récurrents de la série anglaise firent des apparitions à éclipses dans la série française. De plus, après six volumes, le " traducteur " de la série changea et certains des personnages récurrents changèrent de nom !

Plus tard, Ditis reprendra la série, espérant sans doute un succès semblable à celui du Baron, mais renoncera assez vite.

(1) Surrey, comté de G.-B., au S. de Londres; 1655 km²; 998000 hab.; ch.-l. Kingston-upon-Thames. Pays de cultures (céréales) et d'élevage laitier.
(2) Baron est aussi le titre donné aux juges de la Cour de l'Echiquier (probablement l'équivalent de la Cour des Comptes - à vérifier)
(3) Dans la série West, une curieuse défense de l'avortement (West et les Irlandais) et des faiseuses d'anges par idéal.
(4) Il ne vit pas d'expédients et agit par scrupule moral. Il aime l'aventure, cela n'en fait pas un aventurier.
(5) Cette réputation sulfureuse de l'East End " est toujours vivace : un des soaps les plus populaires de la BBC est de nos jours encore " Eastender ", histoires pleines de fureur et de bruit
(6) Toff : an elegantly dressed young man, often having exaggerated or affected manners: "champagne, once a raffish drink suitable for toffs and weddings" (Ian Jack).
[Probably variant of tuft a gold tassel worn by titled students at Oxford and Cambridge.]
En français cela donnerait quelque chose comme "le gandin".

(7) " …on était en présence du plus dangereux de tous les requins : l'Oriental dégénéré. " Le Prince entre dans le bain p10

Frank VAN CANT

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