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Cette année-là : 1972 par Claude Le Nocher
Retour sur une année
riche en romans de qualité.
A la mémoire d'André Héléna (1919-1972)
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IL Y A TRENTE ANS.
La France de M. Pompidou pensait que les années 70 seraient
la suite logique et prospère de la décennie précédente.
Le pays se modernisait, avec les premiers hypermarchés,
les premières autoroutes. Mai 68 laissait de sourdes
traces que le " Français moyen " ne percevait
guère. L'appétit financier des émirs pétroliers
n'inquiétait pas encore l'occident. L'ordre régnait,
ou peu s'en faut. Nos concitoyens étaient globalement
satisfaits de leur sort.
L'univers du roman policier, qu'on n'appelait pas ou rarement
" polar " en ce temps-là, se portait plutôt
bien. Dans la Série Noire, Jean Amila confirmait
encore une fois son talent avec Contest-Flic, Pierre Siniac
faisait vivre une deuxième aventure à ses héros
truculents dans Les 401 coups de Luj Inferman', A.D.G. nous
racontait La nuit des grands chiens malades, Manchette imposait
son style avec Ô dingos, ô châteaux, Janine
Oriano livrait un de ses derniers romans policiers - O.K.Léon.
Et surtout Raf Vallet offrait au lecteur un de ses meilleurs
livres : Mort d'un pourri.
Chez Plon, on continuait à découvrir (tardivement)
l'uvre de Giorgio Scerbanenco, avec son dernier recueil
de nouvelles : Les nymphettes meurent aussi. Chez Denoël,
la collection Super Crime Club était au mieux
de sa forme avec Gilbert Tanugi (Crazy Capo), Louis C.Thomas
(Malencontre), Hubert Monteilhet (Les bourreaux de Cupidon),
Pierre Salva (La fille du Lac au Diable), et quelques autres
auteurs notoires comme Laurence Oriol et Jean-François
Coatmeur. Le Grand prix de Littérature policière
1972 était attribué à Tanugi .
Dans sa collection Atmosphère, Eurédif rééditait les romans de Georges-J.Arnaud parus
quinze ans plus tôt sous le pseudo de Saint-Gilles (Seule
la mort, Du sable pour linceul), ainsi que Léo Malet
(L'ombre du grand mur). Dans sa collection grand format Suspense,
paraissait La femme de paille de Catherine Arley.
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Quoi de neuf au Masque ? Jean Bonnefond obtient le Prix du Roman d'Aventures
pour Marchand de fumée. Tiens ? Un Mickey Spillane,
Un mariage hors série. Exbrayat nous livre quatre
romans, dont le mémorable Pourquoi tuer le pépé
?, perle de la comédie policière campagnarde.
Mais le meilleur titre de l'année chez cet éditeur
est probablement Esprit de suite d'Hélène
de Monaghan : Quand un avocat veut supprimer son épouse
qui l'aime trop selon lui, afin de conquérir sa
belle collaboratrice qu'il croit amoureuse de lui, il
doit faire preuve de suite dans les idées. Par
quels miracles l'épouse échappe-t-elle aux
multiples tentatives de meurtres organisées par
son mari ? Celui-ci ne devrait pas croire que son jeune
beau-frère est un crétin, ni que sa vieille
belle-mère est une petite dame sans défense.
Ces deux-là sont finauds ! Engager un tueur à
gages ? Pas une si bonne idée non plus. Finalement,
la seule vraie victime de cette affaire risque bien d'être
le narrateur. Une savoureuse comédie, entraînante
et délectable.
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Le Prix du Quai des Orfèvres fut attribué
à Trop, c'est trop (Fayard) de Pierre-Martin
Perreaut : Alain Durié à commis un crime parfait.
Même si c'est le commissaire Jean-Joseph Janiaut (dit
" 3 J ") qui s'occupe de l'affaire, il n'a pas à
s'inquiéter. Il a bien préparé son coup,
ne commettant aucune erreur. Quoi ? Cette nuit-là,
trois meurtres ont été commis ? Dont un dans
son propre immeuble, au même étage, la porte
en face. Les deux autres victimes sont un curé et une
jeune fille. Le policier a déjà un suspect en
vue, un jeune homme de bonne famille ayant de mauvaises fréquentations,
qui semble impliqué dans le meurtre d'une autre jeune
femme. Grâce à ses demi-mensonges, Alain se sentira
à l'abri de toute suspicion. Mais dans ce chassé-croisé
mêlant les trois dossiers, " 3 J " et son
équipe finiront par y voir clair
Ce Prix fut
cette fois attribué à un roman qui le méritait,
à la fois souriant et astucieux, bien pensé,
bien raconté.
Aux Presses de la Cité - collection Suspense - on retiendra un petit chef d'uvre de Michel Lebrun,
Comme des fous : Cette histoire commence à 23 heures,
une nuit de début septembre, à Paris. Un homme
pénètre dans une grande maison, pour tuer celui
qui y habite. Il a le temps : l'homme ne rentrera qu'au petit
matin. Philippe s'installe donc. Une heure plus tard, un autre
homme arrive. Un nommé Emile, qui n'est pas celui qu'il
attend. Bientôt tous deux comprendront qu'ils sont venus
tuer le même personnage. Qui des deux possède
la meilleure raison d'éliminer leur future victime
? Pour se départager, chacun d'eux va s'expliquer.
Philippe doit se venger, car il a failli y laisser sa peau
(de mercenaire) et a perdu plusieurs copains à cause
d'une escroquerie. Emile a découvert que sa femme le
trompait avec ce type. Il décida de changer complètement
de vie, ce qui entraîna d'ennuyeuses complications.
Leur cible (Grandrobert ou Villedieu, quel est son nom exact
?) sera bien tuée. Mais Philippe et Emile ont-ils vraiment
dit la vérité ? Comme ils sont retardés
sur les lieux, l'explication qui s'ensuivra démontrera
que l'affaire n'était - évidemment - pas si
simple
Une intrigue bourrée de faux-semblants,
subtilement agencée par l'excellent Lebrun. Par ailleurs,
les Presses de la Cité rééditaient
des auteurs talentueux (Fred Kassak, Michel Cousin
)
dans la navrante collection Punch, mal présentée,
mal imprimée.
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Ce fut une grosse année
de production au Fleuve Noir. A tort ou à
raison, on a souvent dit que le pire y côtoyait
le meilleur. Pourtant, en 1972, nombreux sont les titres
qui sortent du lot. Quelques bons exemples :Un cave, de
Jean Stuart : Michel Sorlut est un petit truand de quarante
ans. Bientôt, il sortira de la prison de Liancourt.
Pour recommencer ses coups minables qui font qu'on le
considère comme un cave ? Non, car son co-détenu
(Laigneau, dit " Marcel le Dingue ", un vrai
caïd) lui a demandé de préparer son
évasion. Michel pense ainsi monter en grade dans
le Milieu, alors que Laigneau songe à se débarrasser
de lui immédiatement après. Le caïd
a prévu de se venger de sa maîtresse et de
réaliser un casse fructueux. Mais il ne survivra
pas à son évasion. Michel est le seul à
le savoir. Le casse, il le fera à la place de Laigneau
(puisqu'il a hérité de tous les détails
de l'affaire). Pour être tranquille, il laissera
la signature habituelle du truand défunt. Ce dernier
est activement recherché par la police, tandis
que certaines de ses anciennes relations craignent son
retour. Michel sera-t-il assez malin pour profiter du
butin ? Un roman de très grande qualité.
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Le bouillon
d'araignées, de Georges Tiffany : Gladys, une jeune
femme de 25 ans, belle mais triste, sans doute incapable
d'être heureuse, d'origine modeste mais vivant dans
un monde huppé, provocatrice et capricieuse
Nathalie, 40 ans, encore très séduisante,
journaliste mondaine au train de vie luxueux, souvent
déçue par les hommes, faible et forte à
la fois. Entre ces deux femmes, une relation perverse,
trouble, sado-masochiste. Un jeu ambigu et malsain où
chacune domine l'autre tour à tour
Domino
de Rèze, grand reporter, séducteur issu
d'une famille aristocratique plutôt désargentée.
Beaucoup de femmes dans sa vie superficielle. Une mère
infirme et malfaisante, aussi
Serge, un arriviste,
bel homme qui semble avoir des problèmes sexuels
avec les femmes. Le commissaire Sorgues et son adjoint
observeront le jeu criminel de ces personnages qui sont
trop cruels pour s'aimer vraiment. Un roman remarquable
!
Une si jolie petite ville, d'Alain Page : Si cette bourgade
du Tennessee paraît charmante, il ne faut pas s'y
fier. Ici, on reste enracinés dans les traditions
Sudistes. On n'aime ni la modernité, ni les nouveaux
venus. Ainsi, quand un nommé Welder débarque
en ville, le shérif s'intéresse de près
à lui. Selon Buggy, l'ivrogne local, l'étranger
lui aurait avoué être un tueur. C'est bien
un ancien du Vietnam, mais que lui reprocher ? Des rumeurs
menaçantes circulent - que les notables voudraient
dédramatiser. S'il est partout et nulle part, si
sa présence inquiète la population, l'homme
ne commet aucun acte illégal. Sa drôle de
mise en scène permettra de comprendre pourquoi
il est là, au nom de souvenirs que certains préféraient
oublier. Une ambiance à suspense très réussie.
Le roman le plus étrange de Brice Pelman est sûrement
Angela, paru en 1972 : A Venise, Angela est passionnément
amoureuse de Peppino. Si elle trouvait de l'argent pour
qu'il achète un canot automobile, il deviendrait
taxi et ils pourraient se marier. Mais où dénicher
une somme si importante ? Les membres de la famille d'Angela
ne sont pas pauvres, mais ils ont des comportements assez
bizarres. Et puis, il y a l'ombre de cet homme qui semble
suivre la jeune femme où qu'elle aille. En veut-il
à l'argent qu'elle espère, ou n'est-il qu'un
pur produit de son imagination ? Peu à peu, Angela
sombre dans un état second. On connaît l'indiscutable
originalité de Brice Pelman. En voici une preuve
éclatante.
Climat oppressant à souhait pour Tendres termites,
de G.J.Arnaud : Immobilisée en fauteuil roulant
depuis un accident, Clotilde réunit cet été-là
ses quatre enfants dans sa propriété provençale.
Ils ont de onze à dix-huit ans. Ni elle, ni son
riche mari ne se sont vraiment chargés de leur
éducation. Les jeunes n'ont pas l'air tellement
à l'aise au début de leur séjour,
mais leur attitude va s'améliorer. L'idée
de tous vivre là à l'année fait son
chemin. L'arrivée du mari bouleversera-t-elle leurs
projets ? Clotilde en vient maintenant à se demander
si ses enfants sont des monstres. Est-ce dû à
son état dépressif ? S'agit-il de paranoïa
ou est-elle réellement en danger ?
Georges-J.Arnaud
a toujours su se montrer fort convaincant dans les huis-clos
angoissants.
Parmi la quantité d'autres titres publiés
au Fleuve Noir en 1972, on peut aussi retenir : Les désespérés
de la semaine et Embrasse-moi, assassin de Jean-Pierre
Ferrière (dans lesquels l'humour et l'imagination
de l'auteur font merveille), La fille dans le trou de
Dominique Arly (un enlèvement organisé par
des jeunes ravisseurs trop débrouillards), Balade
pour un cadavre de J.P.Garen (où l'avocat californien
John Adams doit défendre son meilleur ami Joe,
accusé d'avoir battu, violé et assassiné
sa maîtresse), Symphonie pour un homme seul de Claude
Joste (étonnant face à face entre le commissaire
Jérôme Thiébaut et un chef d'orchestre
assassin), Première nuit dans ma tombe de J.P.Conty,
et l'ultime roman écrit par Léo Malet :
Abattoir ensoleillé.
G.Morris-Dumoulin écrivit un de ses plus brillants
" Vic St Vaux " (comme il dit) cette année-là
: Vic St Val contre Vic St Val. S'attaquer à Mathéus
? Mission dangereuse, voire impossible pour le héros
et ses amis du WISP. Puissant, ce Mathéus ? Oui,
c'est le nouveau Maître Spirituel qui influence
le monde entier. Son livre, sa Bible, connaît un
succès planétaire. Sa cause serait noble
si Mathéus ne visait à créer une
nouvelle religion dominatrice dont il serait le Dieu incontrôlable.
Vic va essayer de combattre cet homme inquiétant.
Avec son ami Snaky, ils subiront plusieurs échecs.
Vic sera soumis à de terribles épreuves.
Peut-être trouvera-t-il le moyen de discréditer
définitivement Mathéus ?
Un magnifique
" épisode " de cette série particulière.
Dans la collection P.J.-Bourgois, Maurice-Bernard
Endrèbe et Jean Bourdier publièrent Le Territoire
des Monstres de Margareth Millar - traduit par J.P.Manchette.
Enfin, 1972 est aussi l'année où Georges
Simenon écrivit la dernière enquête
de son célèbre commissaire : Maigret et
Monsieur Charles.
Choix subjectif sans doute d'évoquer (en détail
ou brièvement) ces romans plutôt que d'autres.
Ce choix n'a d'autre but que d'exprimer la grande diversité
des livres parus voilà trente ans. Sans nostalgie,
car on éprouve toujours un vrai plaisir à
lire ou relire ces ouvrages.
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CLAUDE LE NOCHER
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