Résumé :
" Cet été-là, je le passai sous une écorce de platane. [...]
J'approchai l'arbre vers le soir et d'emblée je le reconnus, inchangé malgré les années. Si les arbres vieillissent autrement que les hommes, c'est qu'ils ont autre chose à nous dire. Sur son tronc, la peau s'écaillait par endroits livrant à l'air la chair à vif. Dans le canal, depuis longtemps désaffecté, lentisques et nénuphars couvaient un monde d'hydromètres, d'araignées d'eau, d'élytres bleus. J'écoutai longtemps ce silence. Puis je fermai les yeux et me glissai sous l'écorce.
Au début, je n'éprouvai rien qu'un peu de mal à respirer et un léger picotement par tout le corps, comme en éprouvent les chenilles juste avant d'être chrysalides (l'une d'elles me le raconta par la suite et c'est pourquoi j'en parle ici) : oui, un léger picotement par tout le corps. Et juste après, un fourmillement plus intense, plus ramifié, comme si je m'effritais, m'excoriais, écorché par l'écorce de l'arbre. Mes nerfs apparemment s'enchevêtraient, s'enroulaient sur eux-mêmes et mon sang s'allégeait, ma peau se craquelait. Je percevais encore les bruits de l'air, le silence de l'eau. Je percevais aussi d'infimes présences sous l'écorce. Et l'arbre tout entier, sa sève, ses rumeurs, l'émoi des branches et le désir nocturne des racines. Rien de tragique, en somme. J'étais entre deux mondes et je vivais toujours. "
Source : Seuil