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L'esprit du temps

Edgar Morin

Résumé : Début des années 60 : la sociologie française avait un petit air souffreteux. Un peu timorée, lé&èrement retardataire, elle tournait à vide, incapable semble-t-il de déchiffrer les phénomènes nouveaux qui travaillaient les sociétés occidentales. Par exemple, sur le problème de la culture, dont chacun pourtant s'accordait à reconnaître l'importance depuis le surgissement et le développement accéléré de l' « effet » mass media, en France rien, le silence. Comme si les sociologues se méfiaient et avaient décidé de rester sur une réserve prudente. Alors qu'aux Etats-Unis, ce même problème avait déjà suscité d'innombrables analyses, et permis de forger les notions si fécondes de « société de masse » ou de « culture de masse ».
C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles, en 1962, la parution de L'Esprit du temps prit l'allure d'un véritable événement. Après Le Cinéma ou l'Homme imaginaire, après Les Stars, deux ouvrages qui radiographiaient en profondeur l'imaginaire social moderne remodelé par la fulgurante extension de l'art cinématographique, Edgar Morin faisait une fois de plus œuvre de pionnier : son Esprit du temps ne proposait rien de moins qu'une lecture raisonnée du temps présent, un repérage des valeurs, des mythes et des rêves des sociétés développées à l'entrée de la décennie 60. C'est-à-dire en fait, une investigation minutieuse des formes, des contenus, des mécanismes et des effets de la « culture de masse ». Il est clair qu'un tel objet de recherche, quand on se souvient des tendances de la sociologie française de l'époque, qui répugnait à traiter de phénomènes trop amples, aux apparences trop abstraites et aux contours mal définis, faisait à soi seul figure de petite révolution théorique. Mais il y a mieux. Au défi de l'objet, Edgar Morin va joindre dans son livre un défi de méthode.
Il y a d'abord, explique-t-il, les méthodes d'approche des phénomènes sociaux : le plus souvent bouffies de préjugés idéologiques et politiques, elles dénaturent, ou dans le meilleur des cas déforment ce qu'elles doivent analyser. Ainsi, sur la question de la culture de masse, on rencontre invariablement l'une des trois attitudes suivantes : soit l'« humaniste >pi qui ne voit qu'une « invasion de sous-produits culturels de ndustrie moderne »; soit celle « de droite », qui tend à la considérer comme divertissement d'ilotes, barbarie plébéienne »; soit enfin celle « de gauche », qui la tient pour « barbiturique (le nouvel opium du peuple) ou mystification délibérée (le capitalisme détourne les masses de leurs vrais problèmes»,. Résultat : la culture de masse est demeurée, jusqu'à aujourd'hui, une réalité opaque, faute d'avoir été évaluée à sa juste mesure.
Il y a ensuite les méthodes mêmes du travail sociologique. Qui doivent désormais s'orienter vers la « totalité ». C'est-à-dire évacuer « le sociologisme abstrait, bureaucratique, du chercheur coupé de sa recherche, qui se contente d'isoler tel ou tel secteur sans essayer de voir ce qui relie les secteurs les uns aux autres ». Comme elles doivent aussi inciter le chercheur à se plonger littéralement dans le phénomène sur lequel il enquête, l'amener à participer activement « à l'objet de son observation », et le conduire à « dialectiser » sans cesse le rapport observateurobservé.
Finalement, à travers ces principes méthodologiques, Edgar Morin jette les bases d'une authentique « sociologie du présent », dont on relèvera par la suite les nombreux autres résultats remarquables : que ce soit dans L'Esprit du temps II, Nécrose, dans Commune de France: La métamorphose de Plodemet, dans l'ouvrage collectif Mai 68 : La Brèche, ou dans l'étonnante étude sur La Rumeur d'Orléans (que viendra ultérieurement compléter La Rumeur d'Amiens),
Mais la démarche fondatrice d'une sociologie nouvelle, dynamique, qui se lit dans L'Esprit du temps, ne doit pas pour autant masquer l'autre aspect du travail présent dans l'ouvrage : à savoir, l'actualité et la pertinence toujours intactes des pointages, des développements et des analyses auxquels se livre Edgar Morin. Bien que la société concernée puisse nous sembler, à vingt ans d'intervalle, historiquement datée, ce que le sociologue y décèle n'a pas fondamentalement changé. Lui-même l'a noté lors d'une réédition, en 1976 : « je n'aurais rien à y retrancher - disait-il -, mais beaucoup à ajouter ». En effet, si l'« esprit du temps » proprement dit s'est visiblement modifié, et nous en sommes les témoins privilégiés, si la culture de masse ne charrie plus tout à fait les mêmes matériaux et ne fonctionne plus exactement dans le sens d'une « intégration culturelle », il n'en demeure pas moins que l'essentiel de ce qui s'apercevait dans les années 60 hante toujours et obscurément la mémoire de ceux qui vivent les années 80. Les publicités vendent toujours les images du « bonheur », du « bien-être » et de « l'amour ». La « une » de certains journaux offre toujours en pâture aux instincts refoulés du « sau » et de « l'érotisme ». La violence est toujours répercutée avec la même obstination par les médias en mai de sensationnel. Les valeurs féminines du « cceur » et de la « beauté » n'ont rien perdu de leur efficacité dans les slogans ou dans les images qui invitent à la consommation. Bref, dans L'Esprit du temps, Edgar Morin a parlé d'un monde qui n'a pas encore cessé d'être le nôtre.

Source : Le Livre de Poche

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