Le Billet Polar

John Creasey alias "Anthony Morton"par Frank Van Cant

En langue anglaise, à l'exception de deux volumes ( Mr. Quentin Investigates - 1943 et Introducing Mr. Brandon - 1944), Creasey utilise le pseudonyme d'Anthony Morton pour les aventures du Baron. Suite au succès de la série, les éditeurs françaises (Ditis principalement) publieront d'autres ouvrages de Creasey sous le nom de Morton, quelque soit le pseudonyme utilisé dans la langue originale.

La série "Le Baron"

Le Baron, John Mannering, voleur de bijoux repenti devenu antiquaire, est à mi-chemin entre Raffles, Arsène Lupin et des aventuriers séducteurs du cinéma des années trente.

Après avoir dilapidé la fortune familiale aux courses, Mannering, rejeté parce que trop pauvre par la jeune aristocrate qu'il aime, se " persuade aisément qu'il existe peu de métiers qui vous fassent gagner aussi rapidement et aussi facilement beaucoup d'argent que celui de cambrioleur " Le Baron les croque - Ditis - p33. Il apprend à ouvrir les coffres forts auprès de Charlie, vieux cheval de retour rangé des voitures. Pour un futur justicier, on ne peut pas dire que le personnage soit, au début de sa carrière, un modèle de vertu. Plutôt un sale gosse qui joue aux gendarmes et aux voleurs : " Il lui semblait revivre sa jeunesse et jouer aux Indiens avec le fils du garde-chasse " Le Baron les croque - Ditis - p39

 

 

 

Une pauvreté toute relative

" John Mannering est rentré en Angleterre, la guerre finie, fermement décidé à ne pas s'ennuyer. Il a perdu toute sa fortune avec une rapidité surprenante (…) il s'est aperçu qu'il atteignait sa cote d'alerte (…) Il a donc quitté Londres, et s'est sagement retiré dans le Somerset, où il joue au cricket, monte à cheval, lit énormément, et se trouve fort heureux. Il possède un bungalow de sept pièces, un seul domestique, quelques ares de terrain et deux chevaux. "
Le Baron les croque - Ditis - p8

On notera le domestique coincé dans cette énumération aristocratique de biens censée prouver " l'indigence " du futur Baron…

Ses talents de cambrioleur, il commencera par les exercer aux dépends de la bonne société qu'il fréquente, comme le premier blouson doré venu. Pour rendre le personnage sympathique, ce qui peut sembler une gageure, puisqu'il vole ses hôtes et amis, Creasey est amené à dépeindre une aristocratie anglaise gangrenée par l'argent sous des traits caricaturaux dessinés au vitriol. Aussi, Mannering, même devenu justicier par la grâce de la rédemption amoureuse, restera toujours en marge de cette bonne société qu'il regardera toujours avec un mépris amusé. D'ailleurs, l'on croise fréquemment dans les aventures du Baron de ces membres désargentés de la bonne société devenus par intérêt complices de personnages peu recommandables. Dans ce monde du paraître, l'argent est tout sous le vernis des manières policées…

Son pseudonyme aristocratique de " Baron ", bien qu'officiellement dû au hasard, fait indéniablement référence à ses qualités chevaleresques, le désigne comme le survivant d'une époque révolue, celle de la véritable aristocratie, dans un monde entré en décadence et devenu purement matérialiste. C'est " le dernier aventurier de cette génération maussade et terne " Le Baron et le poignard - Ditis p8

L'origine d'un surnom

" Finalement, un sourire narquois aux lèvres, il acheta un mouchoir blanc, chiffré. Au hasard il choisit les initiales L.B. Cela ferait un excellent indice, qui expédierait la police sur une fausse piste. "
Le Baron les croque - Ditis - p34

Pour parfaire la fausse piste, Mannering signera L.Baron. La police transformera ce faux nom en titre. Il ne s'agit donc pas d'un pseudonyme sciemment aristocratique, contrairement à ce que la couronne des couvertures des aventures du Baron en J'ai Lu/La Chouette pourrait faire croire…

Son passé en marge de la loi l'amène à se déguiser sans cesse : même lorsque ce que j'appellerais sa période d'accumulation primitive du capital est terminée et qu'il achète son magasin d'antiquités (dans des conditions quelque peu douteuse), se range et devient l'allié encombrant de Scotland Yard, il est toujours recherché pour ses crimes passés. Ce qui ne laisse pas d'inquiéter le Superintendant Bristow, partagé entre son amitié pour Mannering et son désir d'arrêter le Baron qu'il sait être Mannering. Cette ambiguïté quasi cornélienne donne d'ailleurs une épaisseur au personnage, qui n'est pas un simple faire-valoir un peu lourdaud.

 

 

 

 

Aussi Mannering ne peut jamais se revendiquer comme " Baron ", sauf devant sa femme et complice (elle lui sert occasionnellement de chauffeur et, en tant qu'artiste - elle est peintre - se sent également en marge de la bonne société qu'ils fréquentent). Tampons en caoutchouc et fausses dents le transforme tantôt en marin peu rassurant, tantôt en gros homme rubicond aux énormes sourcils. Il parle indifféremment comme un truand français, un matelot espagnol ou un voyou de l'East End.

"Grand, une casquette de tweed enfoncée jusqu'aux yeux, le col de son imperméable remonté jusqu'au bout du nez, le voleur de la broche Kenton regardait fixement Schmidt… "
Le Baron les croque - Ditis - p55

Sa descendance est innombrable, tant en littérature qu'en séries télévisées : la série du Saint avec Roger Moore, par exemple, doit plus au Baron qu'au personnage de Leslie Chatertis (nettement plus violent que charmeur). Ditis disait que les romans de A. Morton, écrits à la va vite n'étaient pas fameux, mais que, revus et corrigés par C. Seguin, qui en améliorait le style, ces romans devenaient meilleurs. Le succès international du personnage semble démentir cette assertion, qui semble davantage une justification de la mode des traductions " adaptées " d'une époque où nombre de traducteurs n'avait pour seul bagage linguistique qu'un vague vernis contacté au contact des troupes anglo-américaines.

Par une ironie de l'histoire, alors que "Le Saint" faisait fureur sur les petits écrans européens, Monty Berman a produit "Alias, le Baron", la première série policière télévisuelle britannique en couleur (1965-66, 30 épisodes), série inspirée par le personnage imaginé par John Creasey. Et les aventures télévisuelles de John Mannering sont singulièrement inspirées de celles de Simon Templar... Tandis que le "Baron" des romans est un gentleman cambrioleur de bijoux qui se reconvertit, par les miracles de l'amour, en justicier, celui du petit écran est un antiquaire américain exilé à Londres qui, sous le couvert d'une passion pour les objets d'art, traque en réalité les faussaires, trafiquants et criminels de tous bords. Cet antiquaire s'appelle John Mannering et on le surnomme "le Baron" à cause de la couronne dont est marqué tout le bétail de son ranch au Texas. Il possède trois boutiques d'antiquités à Londres, Paris et Washington, c'est-à-dire trois quartiers généraux d'où il peut mener discrètement ses enquêtes. Mannering (Steve Forrest, frère de Dana Andrews) a un associé, David Marlowe (Paul Ferris) mais aussi une assistante, Cordelia Winfield (Sue Lloyd), jolie agente travaillant pour les services diplomatiques anglais.

Titre original : The Baron

Première diffusion aux USA : Janvier 1966
Première diffusion en Angleterre : Septembre 1966
Première diffusion en France : Octobre 1967

Frank VAN CANT

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