Le Billet Polar

Jacob Arjouni

A l'heure où, depuis le café du commerce jusqu'au dernier salon où l'on cause, les beaux esprits (et les autres) discutent à perdre haleine de l'intégration dans la Turquie dans la Communauté Européenne, il m'a semblé intéressant de se pencher sur le cas particulier d'Arjouni (ou comment l'Occident s'intègre dans un Turc de fiction…)

Né le 8 octobre 1964 à Frankfort, Jacob Arjouni (pseudonyme emprunté à la famille de son ex-femme d'origine marocaine) est le fils du dramaturge Hans Günther Michelsen. Elevé dans une famille nombreuse imprégnée d'idées libertaires soixante-huitardes, Jacob, une fois passé son bac (ou du moins l'équivalent allemand de celui-ci) quitte l'Allemagne pour s'établir pour un temps à Montpellier où il vit en marge, habitant dans des garages (sa première pièce s'appèle d'ailleurs " Les Garages ") et autres entrepôts, commençant une carrière (avortée) de pickpocket et tâtant de la bouteille plus qu'il n'est raisonnable. Maîtrisant peu le français, il commence à écrire pour, selon ses propres termes, ne pas sombrer dans la stupidité. Gagnant chichement sa croûte comme barman ou vendeur de maillots de bain, il pond romans policiers et pièces de théâtre. En 88, il rejoint une école de théâtre à Berlin, l'abandonne assez vite et commence à suivre des cours à l'Université Libre. Etudes là aussi vite abandonnées… Aujourd'hui, sa vie se déroule entre Berlin et le sud de la France. croque - Ditis - p39

 

Quand en 1985 son premier livre (" Happy birthday, Türke ! ", " Bonne fête, le Turc " - Fayard 1992) sort aux éditions Diogenes, bientôt suivi de " Mehr Bier " ( " Demi pression " - Fayard 1993) en 1987, Ajourni devient une véritable star de la scène polar en Allemagne. Son héros, Kemal Kayankaya, un détective privé allemand d'origine turque (qui au demeurant ne parle pas un mot de turc) dans la Frankfort d'aujourd'hui doit certes beaucoup au Marlowe de Chandler ou au Spade de Hammet, mais Arjouni va bien au delà du simple pastiche (même s'il ne recule pas devant une citation et joue sans cesse avec les codes du genre). Si les intrigues sont des versions " régionales " et actualisées du répertoire " noir " traditionnel, Arjouni joue avec ce matériel avec une réjouissante roublardise. Il nous offre un voyage dans l'Allemagne " profonde " d'aujourd'hui, coincée entre le racisme ordinaire et le nationalisme outrancier des " Republikaner " et la corruption omniprésente née d'un matérialisme à tout crin.


Lors de la sortie de son troisième bouquin, " Ein Mann, ein Mord " en 1991 (" Café Turc ", Fayard, 1992 - premier ouvrage traduit en français. Comme d'ordinaire, l'éditeur français se moque de la chronologie de l'œuvre originale…), il reçoit le prix du polar allemand 1992 . Cette année '92 est d'ailleurs une année faste : " Happy Birthday, Türke ! " fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Doris Dörries.

En 1996, il sort "Magic Hoffmann" ( Fayard 1997), un brillant hommage à Berlin et au plus formidable roman urbain du XXème siècle, " Berlin, Alexanderplatz " de Döblin, roman malheureusement quelque peu méconnu en France et contenant déjà en filigrane toute l'œuvre d'un Gunther Grass. Ce roman paraît d'abord sous forme de feuilleton dans le prestigieux Frankfurter Allgemeine Zeitung. Avatar contemporain de Franz Biberkopf, Fred " Magic " Hoffmann, après avoir passé des années en tôle pour hold-up, recherche ses anciens complices à travers une Allemagne tout juste réunifiée. Mais le monde a changé et la prison a isolé " Magic " du cours de l'histoire… Ses rêves passés n'intéressent plus personne.

 

En 1996 toujours, la boucle est bouclée : les aventures germaniques de ce privé turc créé par un Allemand sous pseudonyme marocain sont traduites en turc et rencontre un gros succès en Turquie…

Biographie (en français) :

1992 Café turc : une enquête de Kayankaya. Trad. de l'allemand par Stefan Kaempfer. Fayard
1992 Bonne fête, le Turc ! une enquête de Kayankaya. Trad. de l'allemand par Stefan Kaempfer. Fayard
1993 Demi pression : une enquête de Kayankaya. Trad. de l'allemand par Stefan Kaempfer. Fayard
1997 Magic Hoffmann . Trad. de l'allemand par Stefan Kaempfer. Fayard

 

Frank VAN CANT

Retour à l'accueil - Historique des articles

Vous souhaitez nous envoyer des articles ? contactez-nous